Patrick ROUXEL
Réalisateur, documentariste
Réalisateur du film "GREEN" récompensé dans de nombreux festivals dans le monde
Entretien avec Patrick Rouxel, réalisateur
Comment est née l’idée de ce documentaire ?
Patrick Rouxel : Ç’a été un projet un peu improvisé. Je suis parti six mois en Indonésie avec une petite caméra et un visa de tourisme. L’histoire m’est venue sur place, quand j’ai rencontré cet orang-outan sur ce lit. J’ai compris que l’on pouvait raconter l’histoire de la déforestation à travers son regard. Je suis un amoureux de la forêt, profondément attristé par sa destruction. On ne s’en rend pas compte quand on est en France, mais sur place on mesure tout de suite l’ampleur des dégâts. Je fais des films pour partager ma souffrance et faire en sorte qu’il reste encore des orangs-outans et de la forêt à la fin du siècle. C’est pour moi une démarche de citoyen.
Comment s’est déroulée la rencontre avec Green, cette orang-outan, fil rouge du documentaire ?
P. R. : Au centre de Kalimantan, il y a un refuge géré par une ONG appelée BOS (Borneo Orangutan Survival), où on trouve plus de 600 orangs-outans rescapés. Celle que j’ai appelée Green dans le film était déjà là quand je suis arrivé. Elle avait tout le côté gauche paralysé, d’où cette position assez étonnante. Rester allongé sur un lit n’est pas naturel pour un orang-outan. Quand je suis entré dans la pièce, j’ai tout de suite pensé à ma grand-mère sur la fin. La ressemblance entre les grands singes et les êtres humains est tellement forte que l’on oublie très rapidement qu’il s’agit d’un animal d’une autre espèce. Green venait du monde sauvage et n’aimait pas qu’on s’approche d’elle. J’ai dû passer trois semaines avec elle pour qu’elle m’accepte. J’avais l’impression qu’elle communiquait avec moi. C’était une rencontre fascinante.
Il n’y a aucun commentaire dans le film, pourquoi ce parti pris ?
P. R. : Mon objectif premier, c’est de faire passer une émotion et j’ai l’impression que c’est plus facile s’il n’y a pas de paroles. Je ne me sens pas très à l’aise avec les mots. Les images et le son, c’est suffisant. Chaque spectateur peut ainsi se raconter sa propre histoire. Avec un peu de chance, j’arrive à le mener au point culminant du film : quand on retrouve les deux orangs-outans sur l’arbre au milieu de nulle part. A ce moment-là, j’espère lui faire ressentir quelque chose de profond, qui va le marquer et peut-être bouleverser ses habitudes de consommation. Ce parti pris artistique vient du fait que je travaille de façon complètement indépendante, sans compromis. Cela me donne une grande liberté.
Le film a reçu de nombreuses récompenses. Ce succès vous redonne-t-il un peu d’espoir ?
P. R. : Je suis ravi que le documentaire ait reçu autant de prix, cela prouve qu’il touche le cœur des gens. Mais, en même temps, je suis assez vieux pour savoir que ce n’est pas un petit film comme Green qui va changer le destin de l’humanité. Je suis certain que les responsables de la déforestation — qu’ils soient à la tête de multinationales ou qu’ils aient des intérêts économiques à voir la destruction de la forêt tropicale — ne se sentent pas vraiment concernés par le sort des singes.
Quels sont vos projets ?
P. R. : Je repars bientôt en Indonésie. A Bornéo, j’ai rencontré un homme qui travaille depuis trente ans pour la sauve- garde des orangs-outans. Il s’occupe de confiscations et veut sortir des grands mâles enfermés, derrière le zoo de Jakarta, dans des cages qui ne font pas plus de 10 mètres carrés. Il a trouvé d’autres enclos beaucoup plus adaptés pour les accueillir. J'espère pouvoir suivre ce transfert et ainsi montrer la réalité du terrain aux gens qui n’en ont pas conscience. J’ai le sentiment qu’il faut filmer les orangs-outans pour communiquer sur leur extinction, déjà très tangible. Car, dans quelque temps, ce seront des images d’archives.