Paul JORION
Chercheur en Sciences Sociales
Chercheur en sciences sociales ayant fait usage des mathématiques en anthropologie et économie. Il est l'un des rares commentateurs économiques à avoir anticipé la crise des subprimes américains de 2007 dans son ouvrage Vers la crise du capitalisme américain. Il a enseigné dans les universités de Bruxelles, Cambridge et l'Université de Californie. Il a également été fonctionnaire des Nations-unies (FAO ) participant à des projets de développement en Afrique. Il est actuellement professeur associé à l'Université catholique de Lille.
Paul Jorion est auteur d’une vingtaine de livres dont voici les 4 derniers titres:
" Le capitalisme à l’agonie”, Fayard, 2011 : <http://rencontres-et-debats-autrement.org/index.php?page=le-capitalisme-est-il-a-l-agonie> à l'agonie"
"La guerre civile numérique" Textuel, 2011
« Celui qui s’en va le dernier éteint la lumière » (Fayard, paru en poche mars 2017)
« Se débarrasser du capitalisme est une question de survie » Fayard, mars 2017)
THÉME: POURQUOI LE CAPITALISME EST-IL A L'AGONIE?
Paul Jorion. «Il faut cesser de rafistoler l'économie » (Interview, nov. 2011)
Paul Jorion redoute que l'Europe soit traversée par de fortes secousses sociales dans les mois à venir.
Vous êtes l'un des tout premiers à avoir annoncé en 2007 la crise des subprimes aux États-Unis. Avez-vous aussi vu venir ces nouvelles turbulences ?
C'est tout simplement la suite logique de la crise des subprimes. Après cette crise du crédit, au lieu de remettre les compteurs à zéro, on a transféré les créances des banques à la population, aux contribuables. Les États se retrouvent avec plein de promesses de reconnaissances de dettes qui ne seront pas tenues. Aujourd'hui, mêmes les États n'ont plus d'argent. C'est comme un château de cartes qui va s'écrouler. Or, on ne peut pas réparer un château de cartes.
Les décisions prises au dernier sommet européen vous semblent-elles suffisantes ?
Non, il faut cesser le rafistolage. On ne peut plus résoudre les problèmes dans le cadre existant. Fin 2008-2009, on aurait pu réparer le système, mais on a préféré le reconstruire à l'identique. Pourtant, tout était dit dans le discours de Sarkozy à Toulon: le problème, ce sont les salaires beaucoup trop bas et les rémunérations des patrons et des investisseurs beaucoup trop hautes; de ce fait, les gens sont obligés de vivre à crédit. Le discours a été applaudi mais on l'a tout de suite mis entre parenthèses. Pour que la machine économique marche, il faut des salaires. Or, on a pris la décision inverse, on a fait le choix de l'austérité.
Justement, quelles vont être les conséquences de la crise sur les salariés ?
Le chômage va augmenter. Il y aura une forte pression pour que les salaires baissent. On va supprimer le bouclier social et l'État providence, en oubliant qu'ils avaient été mis en place à partir du XIXe siècle pour que les gens ne fassent pas la Révolution. C'était pour rendre le capitalisme tolérable. À agir ainsi, on risque d'aller vers des troubles sociaux, des révolutions, etc.
Comment éviter ces troubles sociaux ?
Si on ne veut pas que le système soit bientôt à feu et à sang, il faut un moratoire sur la dette des États. Il faut cesser de considérer qu'une reconnaissance de dette vaut ce qui est écrit dessus. Les États sont insolvables. Même la France ne pourra pas payer. On doit tout mettre à plat et effacer les dettes et reconstruire un nouvel ordre monétaire international. La Chine demande un nouveau Bretton Woods depuis 2009. Qu'on le fasse !
Extrait de "LA GUERRE CIVILE NUMÉRIQUE":
"Dans le marasme économique actuel, il n’y aurait pas selon vous de responsabilité portée par une génération en particulier ? Nous sommes tous aveuglés par ce que Hegel appelait la « ruse de la raison » : nous sommes pris dans des processus historiques, mais sans en comprendre la signification globale, parce que nous avons « le nez dans le guidon » de notre stratégie de survie personnelle. Personne (sauf une poignée de « grands hommes », selon lui) ne peut s’identifier suffisamment à l’histoire pour comprendre où sa marche la mène. La fameuse « main invisible » du marché, théorisée par Adam Smith, a dû exister à un moment de l’histoire, disons jusqu’au milieu du xixe siècle. En poursuivant nos intérêts égoïstes, nous contribuons selon lui au bien-être général… Cette loi a cessé d’être valide, justement en raison de l’intervention de ces non-linéarités apparues avec la complexité : là où il y avait autorégulation (ce que le physicien appelle « rétroaction négative » : une tendance de la part du système perturbé à retourner vers son état antérieur), il y a maintenant amplification de la perturbation (« rétroaction positive ») entraînant le système vers sa destruction. Dans les situations de crise, certains individus ou entités sont amenés à agir de manière délibérée contre l’intérêt général pour tenter de se sauver : ce fut le cas par exemple de Goldman Sachs et de Deutsche Bank qui, dans une situation financière désespérée, ont tenté de se refaire en pariant sur l’effondrement généralisé de l’appareil financier, contribuant bien entendu, du coup, à précipiter sa chute."
Blog de Paul Jorion: http://www.pauljorion.com/blog/