A quik profite le développement personnel ?

Sujet du Vendredi 16 Janvier 2009 à 20H00

Café de la Mairie, 8 place Saint Sulpice, Paris 6e
 
A QUI PROFITE LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL ?     
 
Notre invité: Robert EBGUY, sociologue, directeur de recherches au Centre International de Communication Avancée, auteur de Je hais le développement personnel, Eyrolles, oct. 2008.
ROBERT EBGUY est sémiologue (sciences du langage), sociologue, analyste des médias, et aussi auteur, compositeur et interprète. Il est inventeur du médiatique terme d’«adulescent», ce phénomène de notre époque qui voit les adolescents s’attarder chez les parents pour éviter de passer au stade d’adulte. Il a analysé cette régression des trentenaires dans son livre « La France en culottes courtes » éd. Lattès (2002)
Robert Ebguy est par ailleurs directeur de recherches au CCA
(Centre de Communication Avancé)
et se consacre aux études de styles de vie en France, USA, Japon, Canada, spécialiste des médias.
Il a été enseignant au Bennington College, Vermont, USA
Co auteur avec Bernard Cathelat du « Co’système », 60 manières de communiquer, Styles de pub, un ouvrage décrivant un modèle de communication servant à décrypter les messages sociaux, politiques ou publicitaires, paru aux Editions d’Organisation en 1998. Pépites de café, 2008 , 2009 chez Bernard Pascuito
Co-fondateur de l’observatoire Foreseen consacré à la détection et à l’étude des tendances sociales internationales et co-auteur de plusieurs ouvrages de la collection Foreseen, chez Denoël, puis chez Plon, avec Bernard Cathelat et Mike Burke. Thèmes traités :
Le retour des clans, La soif d’émotion, L’impératif Moral, Quelles élites pour le XXIème siècle, L’alternative des valeurs féminines, De l’homo sapiens à l’homme interactif, Les nouveaux horizons de la consommation, Les screenagers, etc.
Auteur d’un Blog : proflarue.skyrock.com , penseur mondain, depuis mai 2005 sur la vie de quartier (5ème arrondissement où il habite) et autres réflexions.
 
Nous avons inauguré ce cycle sur les nouvelles méthodes de management en été dernier avec une pièce de théâtre, adaptation du roman de ROGER-POL DROIT « VOTRE VIE SERA PARFAITE » jouée par les Items Associés. Roger-Pol Droit est venu participer au débat, ainsi que le psychanalyste ROLAND GORI, auteur de « L’EMPIRE DES COACHS ».  Il sera à nouveau notre invité le 25 février pour son livre « LES EXILÉS DE L’INTIME ». Quant à la pièce de théâtre nous avons le projet de la faire rejouer en mai suivi d’ un débat avec de nouveaux invités comme Valérie Brunel qui a écrit l’ouvrage au titre évocateur « LE MANAGEMENT DES ÂMES ».
Puis nous avons reçu la philosophe MICHELA MARZANO pour la parution de son ouvrage « EXTENSION DU DOMAINE DE LA MANIPULATION. DE L’ENTREPRISE À LA VIE PRIVÉE. » Vous pouvez voir des extraits de ce débat sur youtube dont vous trouverez le lien sur notre site www.cafephiloautrement.fr
Mais jamais l’engouement pour ce sujet a été aussi fort que pour le DÉVELOPPEMENT PERSONNEL ». Est-ce dû au titre provocateur « JE HAIS LE DP » ou à l’expérience des unes et des autres parmi vous qui êtes venus ce soir. Il est certain que nous sommes tous sollicités par les propositions du DP, soit à l’intérieur de l’entreprise soit dans la vie courante. On nous propose des stages de relaxation, de yoga, de sophrologie, d’initiation au bouddhisme ou autres pansements des maux de notre époque.
Une époque où il n’y a plus de vision de l’avenir, plus de confiance dans les institutions, plus de lien social, et surtout un grand sentiment d’impuissance.
Quant à la cassure du lien social nous essayons justement et en toute modestie d‘y remédier avec nos débats sur des sujets de société qui nous concernent tous.
Le terreau sur lequel fleurit le coaching est donc très fertile, c’est un marché fructueux de 91 millions d’Euros en 2005 selon les chiffres cités par le président de la SFC (société française du coaching). Pour ceux qui veulent en faire leur gagne-pain, il paraît qu’aucune formation spécialisée est requise pour devenir coach. 55% des coachs d’entreprise sortent tout simplement des écoles de commerce ou d’ingénieurs. Ce qui fait dire à R. Ebguy que leur grand talent est surtout de SAVOIR SE VENDRE.
Expliquer cet engouement pour le Développement Personnel  est assez simple. Qui n’a pas envie de devenir un gagnant, de s’améliorer, de développer son potentiel caché et d’aller à la conquête de son nouveau MOI INVINCIBLE et INDÉFECTIBLE? Mais il faut savoir que ce n’est pas votre bonheur personnel qu’il s’agit de booster mais le bonheur économique de l’entreprise qui paie vos séances de coaching à prix d’or. Il faut savoir que le coach est payé pour vous ADAPTER et vous FORMATER pour les besoins de l’entreprise. Il doit vous former à la PERFORMANCE INDIVIDUELLE dans un environnement de darwinisme social. Car le monde de l’entreprise est aussi le monde de la compétition où il s’agit de jouer les coudes et de dépasser l’autre, voire de l’éliminer. Le gagnant c’est celui qui sait se maintenir en haut de la vague, et tant pis pour les autres.
Il est significatif que les auteurs de harcèlement moral ne se sentent jamais coupables puisqu’ils ne font qu’appliquer les règles apprises pour « stimuler » leurs subordonnés.
Une jeune cinéaste allemande – Eva Stolz - vient de tourner un film (Sollbruchstelle) qui raconte l’histoire de son père mis au placard d’une entreprise pendant 8 ans (!), parce qu’il a eu l’outrecuidance de protester contre son licenciement abusif et de se faire réintégrer par la loi. Pour le casser moralement son supérieur l’a mis dans un bureau vide, sans lui donner la moindre tâche et en lui interdisant toute communication avec les autres salariés. Il a vécu l’enfer psychologique, a frôlé la dépression et le suicide, mais il a tenu tête à son employeur pendant 8 ans jusqu’à sa retraite. Résultat : l’entreprise a licencié son supérieur, non pas pour traitement inhumain d’un subordonné mais pour avoir causé des pertes financières à l’entreprise, puisqu’il n’a pas réussi à pousser l’autre à la démission. Le facteur humain n’est nullement pris en compte.
Le plus souvent le DP se résume à une sorte d’ « Ego-building » comme on fait du bodybuilding, il s’agit de booster votre ego, faire de la gonflette du moi. Mais pour un parfait individualiste l’ a u t r e se réduit à un simple instrument. Si vous développez votre personnalité, votre narcissisme, si vous apprenez à avoir confiance en vous , à vous affirmer, c’est forcément au dépens de quelqu’un d’autre moins visible, plus timide qui fait son travail, mais qui ne sait pas le communiquer ou plutôt claironner ses mérites haut et fort. S’il y a un gagnant il y aura forcément des perdants. Mais dans ce monde atomisé des PARTICULES ÉLÉMENTAIRES chères à Michel Houellebecq, tout le monde a soif de RECONNAISSANCE, tout le monde rêve d’être quelqu’un de singulier et d’irremplaçable.
Les coachs vous font croire justement que vous comptez en tant que personne singulière et que vous êtes unique et irremplaçable, alors qu’en fait vous êtes substituable. Il s’agit de vous faire fonctionner comme un rouage dans la machine pour le bien de l’entreprise et le vôtre. L’objectif c’est de jouer « gagnant/gagnant », et tant pis pour les perdants.
Ce que Robert Ebguy tente également de démontrer dans son essai c’est que les candidats au coaching participent à leur propre MARCHANDISATION en demandant au coach: « QU’EST-CE QUE JE VAUX ? » Cette question emblématique résume à elle seule l’enjeu du coaching, celui d’une réification volontaire, d’une chosification de l’individu soumis à l’évaluation permanente selon les critères de l’entreprise. C’est là que nous rencontrons à nouveau la SERVITUDE VOLONTAIRE si bien décrite par LA BOÊTIE.
Il n’est cependant pas étonnant que nous nous laissons prendre par les beaux discours des coachs en apparence humanistes et philosophiques. Souvent le coach se présente comme un disciple de SOCRATE qui par la maïeutique – sa façon de poser des questions à ses interlocuteurs - accouchait les esprits. Le coach propose donc une technique d’interrogation qui fait réfléchir les individus sur eux-mêmes pour qu’ils élaborent leurs propres solutions, non pas pour s ‘élever intellectuellement, mais pour élaborer des réponses pragmatiques aux exigences de l’entreprise.
Avec la prétention spiritualiste de certains coachs ils arrivent à s’insinuer dans la vie privée de leurs clients et à coloniser leur SAVOIR-VIVRE et leur SAVOIR-ÊTRE. C’est ce que nous avons vu avec Michela Marzano et son « Extension de la manipulation  de l’entreprise à la vie privée ». Mieux vaut être prévenu ! C’est à cela que sert également l’essai de Robert Ebguy : déceler la réalité derrière les apparences.

 
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