Comment transmettre ?

Mardi 28 janvier 2014
Université Populaire du 2è : DEMAIN, QUELS HUMAINS ?

Invité: Michel BLAY Philosophe et historien des sciences

Thème : COMMENT TRANSMETTRE ?


Présentation du sujet et de l’invité le 28/1/2014 :

MICHEL BLAY est scientifique (il a enseigné la physique aux lycéens) et philosophe des sciences, directeur émérite du CNRS. Ses travaux portent sur l’histoire de mathématisation, d’Euclide à Kepler, Copernic, Galilée et Newton. Il est l’auteur de nombreux ouvrages. Je cite seulement ce titre qui interpelle : « La science trahie. Pour une autre politique de recherche » et le dernier ouvrage paru en septembre 2013: « DIEU, la NATURE et l’HOMME, l’originalité de l’Occident ».

M. BLAY défend une certaine idée de la transmission, p.ex. celle des universités populaires, c’est pour cela qu’il est là ce soir avec nous. Pourquoi ? Parce qu’il croit que tout citoyen devrait avoir une culture scientifique suffisante pour comprendre les enjeux scientifiques. Et non seulement les comprendre, mais aussi exercer un droit de regard sur les orientations de la recherche, pour ne pas l’abandonner aux technocrates politiques téléguidés par les lobbys des multinationales. Ce à quoi nous tentons de contribuer dans cette Université Populaire placée sous le thème général « DEMAIN, QUELS HUMAINS ? » en invitant des scientifiques et des philosophes, Michel Blay représentant les deux à la fois. La transmission des savoirs est la raison d’être même d’une université populaire, et nos intervenants et les thèmes traités ici visent à sensibiliser aux enjeux du monde actuel et celui que nous voulons construire. Le dernier exemple en date est Jaques TESTART qui nous a éclairé sur les enjeux des OGM, non seulement en tant que biologiste avéré, mais aussi en tant que membre fondateur et président de la Fondation Sciences Citoyennes qui cherche à impliquer les citoyens dans la prise des décisions des affaires qui nous concernent tous. La vidéo est consultable ici : http://rencontres-et-debats-autrement.org/index.php?page=les-sciences---une-affaire-de-citoyens

La formation d’un citoyen futur commence à l’école et Michel BLAY plaide pour l’enseignement de l'histoire des sciences dès le lycée.Il défend aussi le maintien de l’enseignement du latin et du grec. Pourquoi ? Parce que ce sont les Grecs qui ont inventé la démocratie et le partage des savoirs. Or notre civilisation a pris son envol sur la base de ces deux principes. Avant les Grecs le savoir était occulte et jalousement gardé par des prêtres. C’est Euclide avec son traité mathématique, qui, pour la première fois, a partagé son savoir tout en le démontrant. C’est donc depuis Euclide que des générations de savants ont exhibé – et non occulté - les méthodes et les principes de leur savoir, ce qui a permis l’évolution des connaissances et des techniques. Cet héritage culturel des Européens a pu être transmis et partagé comme nulle part ailleurs, ni en Chine, ni en Inde, ni dans le monde précolombien. C’est grâce à la transmission et au partage des savoirs que notre système de connaissance a pu se construire. Voir le Hors-Série de Sciences&Avenir de janvier/février 2014 avec une belle interview de Michel Blay. Sa conception de la transmission, dont il nous parlera s’appuie sur son expérience d’enseignement qu’il continue d’ailleurs d’exercer avec son séminaire à l’Observatoire de Paris. (fin de la présentation)

Dieu, la nature et l'homme - L'Originalité de l'Occident, Armand Colin, septembre 2013. Synopsis :
Quel lien peut-il y avoir entre les préoccupations écologiques, le changement climatique et la souffrance au travail, ou entre l'épuisement des ressources énergétiques et le management moderne ?  Nous sommes confrontés à l’épuisement des ressources, à la pollution, aux défis des biotechnologies et autres nanotechnologies, mais aussi à la solitude, au travail dans l’oubli du sens des métiers et l’automatisation des actes.
Ces questions peuvent apparaître indépendantes les unes des autres. Bien au contraire elles doivent être abordées globalement.
L’homme occidental  considère  la nature comme une chose à transformer, un réservoir d’objets à disposition de l’homme. La physique mathématique instaurée par Galilée prépare le terrain. Le travail technicien contribue à réduire la relation entre l’homme et la nature à une simple exploitation, ce qui conduit à un « épuisement » non seulement des ressources mais aussi de l’humain.

La mathématisation de la nature depuis Euclide  a certes permis la prospérité et la connaissance. Mais  elle comporte aussi le revers d’une certaine DÉSHUMANISATION, puisque tout est devenu calculable. La NATURE a perdu son romantisme et devient pur entrepôt et réserve d’énergie. L’homme lui-même est considéré comme une RESSOURCE ÉNERGÉTIQUE, au même titre que le PÉTROLE  ou le GAZ, l’EAU  ou l’AIR.

La République, par son École et ses institutions, devrait transmettre l’idéal humaniste : réconcilier le présent avec l’infini en laissant le temps à l’expression de l’humain et du monde. Mais ne faut-il pas inventer d’autres mode de transmission?
 
Michel Blay, invité de France-Culture:Il faudrait que le " profane " ait une culture scientifique, sans rapport avec la conception insipide de la science qu'on enseigne dans les lycées. Il devrait y avoir de l'histoire des sciences dès le lycée, sans trop de technicité, pour montrer que la science appartient à la culture de plein droit. Quand d'Alembert rédige l'Encyclopédie ou un traité de physique, il le fait avec la même pensée, la même façon d'être. Mais il y a un effort à faire. Assis devant sa télé, on ne fait rien. Il faut développer la science comprise comme effort de questionnement et d'interrogation. On peut rappeler à ce propos les universités populaires où des gens venaient se cultiver. L'image de la science doit changer. Il faut redonner aux gens le goût d'aller vers la science, réhabiliter cette démarche et il deviendra plus facile d'expliquer les dossiers. Quelle idée l'homme de la rue peut-il se faire des OGM ? Aucune. Si ce n'est que des intérêts autres que scientifiques interviennent. On devrait recréer de nombreux lieux d'informations populaires. Aujourd'hui, on retire aux citoyens la compétence à critiquer.”

Extrait d’interview à propos de l’enseignement des sciences et du questionnement du monde :
il faut aussi s'interroger sur le fait que la société ne se sente pas véritablement mobilisée par la science. Or la science doit faire rêver. Rêver dans la rationalité.
 
….quand la maladie de la vache folle est arrivée, il s'est trouvé que quelques personnes travaillaient sur les prions depuis des années. On a donc pu répondre rapidement au problème. Ce qui va advenir ne peut pas être pensé. Il faut donc accorder une immense liberté, ce qui n'est pas possible dans le cadre d'un programme finalisé de trois ans. D'où la nécessité de recruter des chercheurs statutaires qui ont du temps pour la rêverie, pour penser l'impensable. C'est ce qu'on est en train de tuer et qui donnait du sens à la science.
Dans les lycées, l'enseignement du latin et du grec est en passe d'être totalement supprimé. Pourquoi pas aussi la philosophie et l'histoire ? Progressivement, on supprime toutes les humanités, c'est-à-dire tout ce qui nourrit la couche critique de la société, ce qui permet de questionner le monde.

 


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