Consentement et rapport de pouvoir

Sujet du 8 MARS 2008 

Notre invitée : Geneviève FRAISSE, Auteure de « DU CONSENTEMENT », éditions du SEUIL, 2007
 
CONSENTEMENT ET RAPPORTS DE POUVOIR
DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE A LA LIBERTE DE CHOIX ?
 
En cette journée internationale des femmes nous sommes particulièrement heureux de recevoir Geneviève Fraisse, auteure de nombreux ouvrages et philosophe de formation - et il n’est guère facile de faire ce choix dans une discipline dominée par des philosophes qui ont souvent décrété que les femmes étaient dépourvues de RAISON ou de CERVELLE, qu’elles fonctionnaient par « affect », bref, qu’elles étaient déterminées par leurs fonctions de corps, de sexe et de maternité.
Geneviève Fraisse est aussi une des rares femmes à avoir partagé avec les hommes une autre chasse gardée, celle du pouvoir politique. C’est en 1997 qu’elle est nommée déléguée interministérielle aux DROITS DES FEMMES, puis en 1999 elle est élue DÉPUTÉE EUROPÉENNE jusqu’ en 2005, sans d’ailleurs jamais avoir adhéré à un parti politique. Après avoir accompli ce qu’elle appelle son « service politique », elle a pris le chemin de retour vers la recherche en tant que directrice de recherches au CNRS.
Cet aller et retour entre la théorie et la pratique est très important pour un philosophe ou un auteur afin de ne pas rester dans des idées abstraites non incarnées.
Nos débats dans ce CAFÉ PHILO AUTREMENT ont précisément pour but de faire sortir la philosophie des carcans académiques et de les relier à la chose publique. Et le CONSENTEMENT a affaire avec la chose publique.
Mais en cette journée du 8 mars dont l’origine remonte à 1917 et aux combats des femmes pour le DROIT DE VOTE, on peut se demander si réclamer le DROIT AU CONSENTEMENT représente vraiment un progrès.
Le livre de G.FRAISSE a été inspiré par des débats de l’ONU en 2000 pour faire adopter un texte qui stipule que le consentement de la prostituée prise dans un circuit de traite de femmes, ne doit pas être pris en compte.
A l’inverse de cette indifférence du consentement on constate aujourd’hui plutôt une sorte de MILITANTISME du CONSENTEMENT qui revendique le DROIT DE CONSENTIR comme expression d’une liberté individuelle:
 
1)                – Militantisme des prostituées qui revendiquent le droit au travail du sexe et qui considèrent ce travail comme un emploi de SERVICE  comme un autre tout en niant – ou assumant - le rapport de pouvoir avec le proxénète. Elles proclament : « MON CORPS M’APPARTIENT » à l’instar des femmes qui ont manifesté pour le droit à l’avortement dans les années 70.
De même certaines actrices de films pornographiques parlent de « réalisation de soi » dans l’exercice de leur métier. Ce qu’elles mettent en avant c’est évidemment l’indépendance économique que ce métier leur procure.
 
2)                Puis, il y a le militantisme de celles qui revendiquent la liberté de porter le FOULARD en disant comme les prostituées : « C’EST MON CHOIX ».
Les questions qui se posent sont néanmoins :
Sont-elles vraiment libres de choisir de cacher leurs cheveux pour ne pas passer pour des putains, ou est-ce qu’elles se soumettent à la loi de la famille ou de la communauté ? Ou encore : Ont-elles intégré la hiérarchie des sexes comme un fait indiscutable et immuable ?
Les prostituées comme les femmes qui revendiquent le port du foulard se voient en tout cas en INDIVIDUS LIBRES et non en VICTIMES. Seulement avec LA BOÉTIE on peut toujours se demander si elles ne sont pas dans la SERVITUDE VOLONTAIRE, et si ce choix prétendument libre n’est pas une stratégie individuelle pour échapper à la misère pour l’une, ou pour ne pas entrer en conflit avec la famille ou la communauté pour l’autre.
Avec le consentement nous assistons en fait à l’HISTOIRE EN TRAIN DE SE FAIRE sur le front des RAPPORTS des HOMMES et des FEMMES
De la sphère privée ces rapports passent à la sphère publique. Car le port du foulard touche à la LAÎCITÉ dans l’école et à la MIXITÉ dans les hôpitaux ou les piscines.
Et avec la prostitution nous touchons au problème de la traite des femmes et de la mise en place des bordels comme celui qu’on a voulu aménager à Berlin pour la Coupe du Monde de Football de 2006. La question est : qui travaille dans ces bordels ? les prostituées des circuits de traite ou celles qui en font un métier de leur choix ?
Ne plus vouloir être considérée comme VICTIME, c’est bien. Mais est-ce qu’implicitement le rapport de pouvoir n’est pas accepté consciemment ou inconsciemment comme un fait indiscutable ?
D’ailleurs le mot consentant ne se dit que des femmes, comme le rappelle le dictionnaire Robert de 2005 - et G. FRAISSE dans son livre.
Si nous assistons à l’histoire en train de se s’écrire sur le front des rapports entre les hommes et les femmes, on peut se demander si les FEMMES CONSENTANTES d’aujourd’hui n’ont pas remplacé les FEMMES REBELLES de hier ?
Le mérite de G. FRAISSE est en tout cas d’avoir contribué avec ce livre à éclairer une question épineuse par une analyse judicieuse.
 
 
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