Eloge du conflit

Sujet du 13 Décembre 2007 

ELOGE DU CONFLIT
 
Notre invitée Angélique DEL REY philosophe et auteure
 
Dans nos sociétés hyperformatées nous fonctionnons comme si le CONFLIT ne devait pas exister, tant nous fonctionnons avec les catégories de l’HARMONIE, “harmonie du couple”, “harmonie intérieure”, la paix, etc. C’est là un symptôme de la société disciplinaire où le conflit n’est conçu que comme un accident regrettable. Pourtant il n’y a pas de possibilité harmonieuse hors conflit, car tout est dans le DEVENIR.
On connaît le fameux livre de Robert Musil « L’HOMME SANS QUALITÉS ». Il y décrit l’homme idéal des sociétés démocratiques modernes. L’idéal c’est un homme échangeable, sérialisé, l’homme de la parité et de l’égalité, le citoyen abstrait.
L’EGALITÉ signifie que nous avons tous la possibilité de devenir milliardaires. Et si nous sommes au chômage c’est de notre faute. Conséquence : la culpabilisation des chômeurs et des « sans » de toute sorte.
Le formatage de nos sociétés occidentales se voit le mieux dans les aéroports. L’image qui prédomine c’est celle du cadre supérieur en costume gris, l’ordinateur portable sur les genoux, le téléphone portable greffé à l’oreille. Tout ce qui est coloré de peau ou de vêtement fait tâche. C’est aussi pour cela que les salles d’attente pour les pays non formatés à l’occidentale sont relégués au fond des aéroports.
Il y a bien une uniformité des apparences et des pensées dans notre société qui s’acharne à refouler les conflits.
Et pourtant depuis Héraclite nous savons que le conflit est l’essence même de la vie . Il est dynamisant et nous projette dans le DEVENIR.
Même le DÉSIR signifie conflit. Nous désirons nous agencer avec l’AUTRE. Alors nous ne pouvons rester tel que nous sommes. Il faut bouger, aller vers l’autre, se confronter, s’EXPOSER.
Si vous vivez sous une dictature et vous voulez en sortir, le désir vous pousse à la RÉSISTANCE et donc au conflit. Parfois au péril de votre vie. Tout conflit est contradiction. C’est le principe même de la vie.
 
Mais nous vivons une époque d’unification où même nos désirs sont formatés. Nous sommes conditionnés pour désirer des biens de consommation pour que la machine productiviste puisse les assouvir. Et nous sommes formatés à penser que le « toujours plus » nous procure le bonheur. Pourtant nous ne le trouvons pas, car une satisfaction d’envie en crée une autre.
On dit souvent : « mais tu as tout pour être heureux », et pourtant nous savons bien que nous ne le sommes pas.
Tout est fait pour que nous nous conformions au seul modèle de l’HOMO OECONOMICUS, et c’est ainsi que les individus soi-disant « libres de leur choix » ne le sont que dans l’imaginaire.
 
Pour se conformer à cette norme unique de la CROISSANCE et de la CONSOMMATION nous en arrivons à corriger nous-mêmes nos comportements et nos envies.
Cependant il y a toutes sortes d’hors normes, en particulier les SANS, les SDF, les « sans-papier », les « sans-travail ». Un chercheur qui défend la recherche fondamentale contre l’exigence utilitariste est aussi un SANS au même titre que le chômeur qui résiste à être flexible.
 
Gilles DELEUZE disait « résister c’est créer », ce qui implique une pensée du conflit. Un conflit signifie qu’il n’y a pas de solution définitive. Il faut donc inventer des solutions LOCALES et non globales.
D’où l’ émergence depuis les années 90 d’une myriade de contre-pouvoirs sous forme d’ONG, de comités et collectifs qui sont autant de LABORATOIRES d’actions restreintes.
 
L a conclusion de cette étude du conflit est qu’il faut apprendre à penser en termes de systèmes dynamiques où toute action est coproduction de savoir et d’agir et qu’il faut favoriser l’action locale en renonçant à l’action globale.
 
 
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