La sexualité en question

Sujet du Vendredi 21 Novembre 2008

Au Café de la Mairie, PARIS 6e
LA SEXUALITE EN QUESTION
Basculement de l’éternel Féminin /Masculin ?
Notre invité: 
Michel BOZON, sociologue, directeur de recherches à L’INED, auteur de Enquête sur la sexualité en France (avec Nathalie Bajos, La Découverte, 2008)
Michel Bozon est sociologue, directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques et auteur d’une enquête de plus de 600 p. sur LA SEXUALITÉ EN France dont il est spécialiste depuis plus de 25 ans. Parmi ses nombreux ouvrages signalons simplement Sociologie de la sexualité paru chez Armand Colin en 2002 qui sera réédité en mars 2009, et La formation du couple, écrit avec François Héran (La Découverte 2006) avec un chapitre particulièrement intéressant - "Apparence physique et choix du conjoint" - qui traite de la manière dont les femmes observent les hommes et réciproquement.
Michel Bozon enseigne par ailleurs à l’E H E S S et à l’Institut d’études politiques de Paris, ses cours portant sur :
«Famille, genre et sexualité ».
 
En général les sociologues confirment par leurs enquêtes, sondages et statistiques ce que nous savons déjà. Mais dans le cas de cette enquête sur la sexualité en France menée en 2006, on est tout de même surpris d’apprendre que dans le domaine des REPRÉSENTATIONS DU MASCULIN ET DU FÉMININ rien n’a vraiment changé depuis des siècles. L’ÉTERNEL FÉMININ tout autant que l’éternel MASCULIN ont toujours le vent en poupe. Pourtant Mai 68, les lois sur la contraception et l’IVG sont passées par là !
D’après les résultats de cette enquête, basée sur des questionnaires et des entretiens téléphoniques préservant l’anonymat, les FEMMES privilégient toujours le sentiment et l’affectivité dans leurs relations avec leur partenaire sexuel, et les HOMMES seraient plus favorables au clivage du SEXUEL et de l’AFFECTIF, gardant l’affectivité pour la famille et les relations conjugales.
Bref, les hommes seraient davantage coureurs ou chasseurs, ce qui proviendrait de leurs BESOINS plus importants et confirmerait d’ailleurs les thèses du journaliste Eric Zemmour bien connu par les téléspectateurs et les lecteurs du Figaro : Les hommes seraient d’éternels chasseurs et les femmes faites pour élever leur progéniture.
Le paradoxe est que les médias, le cinéma, la littérature ne nous parlent que de sexe, la publicité et les magazines nous exhortent à toutes sortes de nouvelles pratiques - et en attendant nos représentations de la femme ou de l’homme idéal n’auraient en rien changé !
En effet pour s’en convaincre il suffit de jeter un œil sur les annonces qui fleurissent sur les sites de rencontres et se ressemblent si étrangement. Pourquoi pour les FEMMES le prince charmant est-il toujours un homme PLUS GRAND et au statut social plus élevé ?
Et pourquoi les HOMMES recherchent-ils toujours des femmes PLUS JEUNES, et avant tout douces et féminines ?
Est-ce par « GOÛT NATUREL » ou par ADAPTATION ou AJUSTEMENT à la demande des hommes que les FEMMES rédigent leurs annonces ?
Il est évident que l’INTÉRIORISATION des schémas traditionnels joue leur rôle, il est clair aussi que la presse féminine participe au renforcement de ces schémas qu’elle fait souvent passer pour NATURELS.
La PEUR d’être mal jugées peut aussi jouer un rôle dans la persistance des clichés.
La femme qui multiplie les partenaires sexuels passe pour une « femme facile » - certes pas sur internet - mais souvent dans la vie réelle. D’un homme qui parle de ses conquêtes féminines on dit au contraire qu’il est « viril ».
A l’inverse on dit des femmes n’ayant pas de partenaire sexuel qu’elles sont « frustrées » ou incomplètes. Soit trop, soit pas assez - les femmes échappent rarement aux jugements péjoratifs.
Ces conceptions très différenciées du MASCULIN et du FÉMININ se reflètent aussi dans la littérature ou dans les films. Prenons pour exemple le roman à succès de CAMILLE LAURENS « L’AMOUR, ROMAN » paru en 2003, où le mari reproche à sa femme d’avoir un amant, tout en ayant lui-même plusieurs relations extra-conjugales dont il dit simplement :
« Ce n’est pas pareil, j’aime les femmes, mais c’est toi que j’aime ». Et sa femme de lui répondre : « qu’est-ce que tu appelles aimer ? »
Puis, il y a le film de Patrice CHÉREAU « INTIMITÉ » qui est emblématique d’une recherche de nouveaux paradigmes du MASCULIN /FÉMININ. Une jeune femme mariée se choisit un amant qu’elle vient voir une fois par semaine à heure fixe pour avoir un rapport sexuel, sans pour autant dévoiler quoi que ce soit de sa vie ou de sa personne. Ca se passe très bien et en silence jusqu’au jour où l’homme ne résiste plus à sa curiosité et la suit discrètement jusqu’à chez elle. Il découvre alors qu’elle mène une vie de famille réglée et apparemment harmonieuse avec mari et enfants qu’elle ne veut voir à aucun prix remise en question par ses escapades sexuelles. Dès qu’elle se rend compte de l’intrusion de l’amant dans sa vie affective elle met fin à la relation.
C’est assez rare que les paradigmes sexuels communément admis soient ainsi renversés et qu’on montre que les femmes elles aussi peuvent avoir des ENVIES sexuelles qu’elles ne veulent pas laisser empiéter sur leur vie affective.
Après Mai 68 et le chamboulement des valeurs attachées à la religion et à l’autorité, ce sont probablement les expérimentations dans le domaine des pratiques sexuelles qui ont changé plus que les représentations du Masculin/Féminin.
Le champ des POSSIBLES s’est ouvert, et la vie sexuelle s’est considérablement allongée, en commençant plus tôt et en se prolongeant jusqu’à la vieillesse, souvent d’ailleurs grâce aux VIAGRA ou au PROZAC, les nouveaux DROGUES DE BIENÊTRE (lifestyle drugs).
Il arrive d’ailleurs qu’on se sente comme « handicapé » face aux injonctions d’une éternelle jeunesse et d’une vie sexuelle permanente promues par les stratèges du marketing.
Cependant il reste un paradoxe : Statistiquement ce sont les femmes qui prennent le plus souvent l’initiative du DIVORCE. Statistiquement ce sont elles aussi qui manquent le plus souvent de partenaire sexuel après 50 ans (37% des femmes contre 16 % des hommes).
Est-ce qu’elles se satisfont de leur « NOUVELLE SOLITUDE » - c’est le titre du livre de Marie France HIRIGOYEN que nous avons également reçue ici - ou est-ce qu’elles ne chercheraient pas plutôt à renverser les clichés existants dans la recherche des partenaires sexuels ?
Dans ses conclusions Michel Bozon explique la persistance des représentations traditionnelles H/F par toutes les autres inégalités qui persistent dans la vie sociale et professionnelle, jusqu’au clivage des rôles familiaux (éducation des enfants et non partage des tâches domestiques) entre les hommes et les femmes.
Mais les « nouveaux pères » existent pourtant, et parmi les jeunes couples c’est parfois la femme qui gagne plus d’argent que le mari. Ces nouvelles tendances sont-elles quantité si négligeable que les sociologues ne les prennent pas en compte ?
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