La virilité

 

INTRO/THIERRY HOQUET + MESSAGE DE L’AUTEUR SUITE AUX ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC
 
13 mai 2009 ,MAIRIE du 2e,
 
LA VIRILITÉ – DÉCONSTRUCTION D’UN CLICHÉ
Notre invité: Thierry HOQUET, philosophe, maître de conférences à Paris X, auteur de « LA VIRILITÉ, à quoi rêvent les hommes ? »éditions LAROUSSE, collection PHILOSOPHER, mai 2009
Thierry Hoquet est ancien élève de l’ENS Ulm, et maître de conférences au département de philosophie de l’université Paris X Nanterre. Il est également membre du comité de rédaction de la revue “Critique” et secrétaire de rédaction de la revue de philosophie «Corpus».
Il est par ailleurs spécialiste de l'histoire et de la philosophie de la biologie, du siècle des Lumières et des questions de genre et directeur de la collection Machinations chez Vuibert.

Derniers ouvrages parus :
Darwin contre Darwin, Le Seuil, collection l’ordre philosophique, janvier 2009
La Virilité, éditions Larousse, Collection Osez philosopher, mai 2009.
A paraître :Cyborg Philosophie, Éditions Vuibert, 2009

Le livre de T.H. va à l’encontre de tous les stéréotypes auxquels on pourrait s’attendre au sujet de la VIRILITÉ et qu’on a d’ailleurs entendus au cours de l’émission sur la virilité sur FR 3 lundi soir chez Frédéric Taddeï où Thierry Hoquet était parmi les invités.
 
Le travail du philosophe sert entre autres à déconstruire des notions qui sont entrées dans notre vocabulaire avec leurs connotations historiques. Essayons donc de déconstruire ces clichés de la virilité tels que Hollywood les fabrique à la pelle avec ses héros emblématiques comme John Wayne, Clint Eastwood, le cowboy et justicier, Humphrey Bogart, le séducteur qui assure dans toutes les situations, ou encore les bêtes musclées comme Sylvester Stallone ou Arnold Schwarzenegger. Thierry Hoquet analyse la notion de virilité non seulement dans les films et la littérature. Il fait aussi appel aux recherches des anthropologues.
 
La question qui nous intéresse ici est avant tout: que devient la virilité dans la société actuelle ? Indéniablement on a tendance à la remettre au goût du jour :
D’une part le modèle de l’homme viril et dominateur est promu par certains COMMUNAUTARISMES dans nos cités modernes.
D’autre part le retour à la virilité est prôné par ceux qui craignent une INDIFFÉRENCIATION SEXUELLE de nos sociétés suite à la libération des femmes. Ces chantres de la virilité perdue agitent le spectre de la peur de trop d’égalitarisme qui ferait des hommes des princesses de Clève plutôt que des Casanovas.
On peut se demander si derrière cette affirmation des valeurs viriles ne se cache pas la peur de la dépendance par rapport aux femmes qui sont tout de même les mères, les nourrices et les éducatrices de leurs fils. Les anthropologues semblent confirmer l’idée de la peur de l’efféminisation et de la séparation nécessaire du monde des femmes par des rites d’initiation. Pour être un homme et admis dans la communauté des hommes il faut s’approprier tous les atouts de la virilité et de la maîtrise des femmes.
 
Cependant il y a des exceptions. C’est l’anthropologue Margaret MEAD qui a montré au début du 20e siècle que la répartition des valeurs masculines et féminines n’a rien d’universel ni de naturel, car aux îles de SAMOA dans le Pacifique le schéma habituel est inversé (« Coming of Age in Samoa », 1928). Ici les hommes se parent de bijoux et restent au foyer, pendant que les femmes assument les tâches nécessaires à la survie de la tribu. Aussi les hommes y sont pacifiques et se défendent seulement en cas d’agression.
C’est évidemment aux antipodes de la virilité généralement érigée en norme sociale ailleurs, où tout est fait pour éviter que les hommes s’efféminent : SOIS ACTIF ET OFFENSIF ! – sous-entendu : ….si tu ne veux pas ressembler à une femme.
 
Transcrite en termes politiques la virilité est une idéologie du volontarisme, de l’individualisme et du culte de la performance– argent et pouvoir passent pour des valeurs viriles. Et nous voilà au coeur du modèle dominant de notre époque.
Pour ce qui est des valeurs généralement admises comme féminines - partage, accueil, le vivre-ensemble - on peut se demander si elles ne sont pas passées à la trappe aujourd’hui.
 
La déconstruction telle que T.H. l’opère dans son livre, fait poser des questions aussi inattendues que : LA VIRILITÉ peut-elle se décliner au féminin? Oui, bien sûr, si on associe à la virilité des valeurs comme le COURAGE ou la RÉBELLION.
A ce titre MÉDÉE, Flora TRISTAN ou Simone de BEAUVOIR sont viriles autant que SOCRATE ou RIMBAUD. Ce Socrate qui était laid et n’a séduit que par sa maïeutique, son jeu de questionnement. Ou Rimbaud qui s’est rebellé contre les valeurs de la bourgeoisie, tout comme Médée s’est révoltée contre son roi et son manque de loyauté. Vu sous cet angle davantage de virilité dans la société actuelle serait la bienvenue.
 
Voici le message de THIERRY HOQUET adressé aux animateurs suite aux échanges avec le public parfois assez vifs:
« Je vous remercie de votre invitation et du débat public qui a suivi. Les questions furent vigoureuses, le débat difficile parfois, mais passionnant. Cela m'a donné un bon échantillon des résistances que mon travail rencontre.
Je suis prêt à recevoir toutes les critiques, à admettre les limites de mon travail, les compléments qu'il peut recevoir d'autres approches (historiques, anthropologiques, etc.).
Je suis à l'écoute, je lis toute la journée, j'aime débattre et discuter.
Je tiens l'essentiel de mon propos dans la proposition suivante : la virilité n'a rien à voir avec la biologie, elle n'est inscrite nulle part dans le corps, et n'est donc pas nécessairement le propre du corps masculin. C'est une qualité morale, que l'on a pu identifier dans les martyrs chrétiens et qu'il faut distinguer de la "masculinité".
Je crois que tout interlocuteur de bonne foi peut me suivre sur ce terrain.
En même temps, il est normal de n'être pas toujours compris, en tout cas pas par tous, quand on fait des propositions philosophiques qui vont à l'encontre des idées reçues, dominantes, massives, appuyées par l'évidence du gros bon sens (et qui en France ont pris pour nom commun "Zeymour").
Un sujet comme la virilité touche certains individus au coeur de leur identité. Dès qu'on évoque ce sujet, on ne peut plus faire de philosophie, car leur réflexion reste bloquée sur leur expérience personnelle, heureuse ou malheureuse.
L'individu dont vous me rapportez les propos a eu une attitude particulièrement révélatrice, par la mauvaise foi systématique avec laquelle il m'a attaqué, me reprochant à la fois d'inventer et de répéter du bien connu. C'est ainsi: il a beau être "universitaire" ou quels que soient ses grades, cela ne garantit en rien cette ouverture d'esprit et cette honnêteté dans la discussion qui est nécessaire à la philosophie. Il est sur une position défensive, se croyant cerné par des ennemis très forts qu'il appelle le "politiquement correct" et auxquels il a rattaché ma proposition (tout en admettant que ce n'était pas cela que je faisais, mais il a interprété la différence de mon propos non comme une originalité mais comme "une ruse" de plus au service de l'ennemi ! Que voulez-vous faire ?).
Ce qui est intéressant, c'est aussi que la première critique m'est venue d'une femme, qui me trouvait trop abstrait, pas assez dans l'histoire des luttes et des dominations. Comme quoi ce que je propose est attaqué aussi bien par les machos blessés que par les féministes informées : cela devrait les détromper les uns et les autres.

Je retiens aussi de notre rencontre les quelques personnes qui m'ont signifié leur soutien, qui ont essayé de suivre ce que je proposais et qui n'ont pas été dupes des méthodes employées quand elles étaient malhonnêtes. En particulier, la dernière question posée était tout à fait juste et montrait que certaines personnes voyaient bien où nous allions ensemble et quelles étaient les difficultés : et s'il ne servait à rien de défendre la virilité parce que ce concept est trop investi de passions rivales ?

Bon courage pour la suite de vos débats,
Thierry HOQUET
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