La vulnérabilité au Covid-19

28 avril 2020, Catherine Vidal  Cath Vidal Photo 2019

La vulnérabilité au Covid-19 : une affaire de sexe et de genre

Catherine VIDAL est neurobiologiste, directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur et membre du Comité d'Ethique de l'Inserm où elle co-dirige le groupe "Genre et Recherche en Santé". Auteure (avec Muriel Salle) de Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Belin 2017

            Les femmes et les hommes courent-ils les mêmes risques face à la maladie COVID-19 (CoronaVirus Infectious Disease 2019) ? Existe-t-il des différences entre les sexes dans les taux de d'infection et de mortalité par le coronavirus SRAS-CoV-2 responsable de la maladie ? Ces questions circulent dans les médias et réseaux sociaux depuis la publication en février 2020 d'un rapport du Centre chinois de prévention des maladies, selon lequel 51,4 % des personnes contaminées sont des hommes avec un taux de mortalité 2,8 % contre 1,7 % pour les femmes (1). En Italie, les hommes représentent 60% des cas d'infection et ils en décèdent plus que les femmes (2) . Quel crédit accorder à ces chiffres ? Et quelles explications peut-on proposer ?

            Il est important de noter que les estimations statistiques disponibles à ce jour sont préliminaires. Elles portent sur des échantillons relativement limités de dossiers médicaux de patients. Elles doivent être complétés par des études épidémiologiques à grande échelle, qui jusqu'à présent font défaut, que ce soit en Chine, en Italie ou ailleurs dans le monde.

            Quant aux raisons qui pourraient expliquer une différence de mortalité entre les femmes et hommes, une piste sérieuse est celle des différences entre les sexes dans les modes de vie et les états de santé. En Chine, plus de la moitié des hommes fument contre seulement 2 % des femmes chinoises. Les maladies pulmonaires chroniques dues au tabagisme et à la pollution, ainsi que les pathologies cardiovasculaires et le diabète touchent davantage les hommes, avec en conséquence un plus fort impact sur la mortalité de la COVID-19 (3, 4).

            Ces facteurs de risque évidents n'excluent pas la recherche de spécificités biologiques liées au sexe dans les défenses immunitaires. Dans une expériences réalisée en 2017 (5) sur quelques dizaines de souris infectées par le coronavirus SRAS-CoV-1(responsable de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère de 2002 à 2004 en Asie) les mâles était plus gravement atteints que les femelles, ce qui a conduit les auteurs de l'étude à poser l'hypothèse d'un rôle protecteur des hormones femelles (œstrogènes), mais seulement chez les souris…. L'extrapolation sans nuance de ces mécanismes à l'humain reste spéculative en l'absence de données scientifiques solides.

            Sur le plan clinique, il est reconnu que les femmes sont plus susceptibles de contracter des maladies auto-immunes comme le lupus ou l’arthrite rhumatoïde (6). Les mécanismes sous-jacents sont loin d'être élucidés. En ce qui concerne la vulnérabilité aux infections de coronavirus tels que le SRAS-CoV-1 et le MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), des données épidémiologiques indiquent un taux de mortalité des hommes légèrement supérieur à celui des femmes, sans qu'on sache en déterminer l'origine (3).

            Impossible en effet de faire la part entre des différences biologiques liés au sexe dans les défenses immunitaires et le rôle des facteurs socioculturels liés au genre. La répartition différente des activités et des rôles sociaux des femmes et des hommes constitue une source majeure d'inégalités entre les sexes dans les risques d'exposition au virus, la vulnérabilité à l'infection, la prise en charge médicale, et au final dans les taux de mortalité (7). Pour l'infection par le SRAS-CoV-2, qui est d'ampleur planétaire, les statistiques genrées seront riches d'enseignement. On peut s'attendre à ce que la proportion de femmes et d'hommes victimes de l'infection varient significativement selon les pays en fonction des normes de genre et des inégalités socio-économiques. Dans nos sociétés occidentales, les femmes sont majoritaires dans les métiers de santé, les services à la personne, le commerce (caissières, vendeuses), le nettoyage, autant de situations qui les placent en première ligne face aux risques de contamination (8, 9).

            Dans le domaine de l'infectiologie, comme dans de nombreux sujets de santé publique, l'analyse des interactions entre les facteurs biologiques liés au sexe et les facteurs socio-culturels liés au genre apporte un éclairage indispensable pour rendre compte de la complexité de l'ensemble des déterminants de santé de la population. Depuis 2013, les actions menées par le groupe « Genre et Recherche en Santé » du Comité d’Ethique de l'Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) s'inscrivent dans ces perspectives (10). L'enjeu est d'enrichir nos connaissances par des approches pluridisciplinaires, associant sociologie, épidémiologie et études de genre, en étroite collaboration avec les recherches cliniques et biomédicales. Il s'agit aussi d'affiner les réflexions sur les moyens de prévention et d'information auprès des populations vulnérables, et des femmes en particulier.

1 Vital Surveillances: The Epidemiological Characteristics of an Outbreak of 2019 Novel Coronavirus Diseases (COVID-19). China CDC weelkly 2, 113-122, 2020

2 https://www.epicentro.iss.it/coronavirus/bollettino/Bollettino-sorveglianza-integrata-COVID-19_12-marzo-2020.pdf

3 Do Women And Men Have A Coronavirus Risk Gap? Carmen Niethammer,

Forbes 6 mars 2020https://www.forbes.com/sites/carmenniethammer/2020/03/06/do-women-and-men-have-a-coronavirus-risk-gap/

4 Why the Coronavirus Seems to Hit Men Harder Than Women, New York Times, 20 février 2020, Https://www.nytimes.com/2020/02/20/health/coronavirus-men-women.html

5 Sex-based differences in susceptibility to SARS-CoV infection

Channappanavar R et al. J Immunol. 2017, 198, 4046–4053. doi:10.4049/jimmunol.1601896.

6 Women and Autoimmune Diseases

DeLisa Fairweather and Noel R. Rose

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3328995/

7 COVID-19: the gendered impacts of the outbreak

https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30526-2/fulltext

395,  mars 2020

8 Gender equity in the health workforce: Analysis of 104 countrieshttps OMS, mars 2019

//apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/311314/WHO-HIS-HWF-Gender-WP1-2019.1-eng.pdf?sequence=1&isAllowed=y

9 Haut Conseil à l'Egalité « Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité » par Danièle Bousquet et Geneviève Couraud, 2017

https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics

10 « Genre et Recherche en Santé », Comité d’Ethique de l'Inserm

https://www.inserm.fr/recherche-inserm/ethique/comite-ethique-inserm-cei/groupes-reflexion-thematique-comite-ethique

 

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