La psychanalyse Freudienne

LA PSYCHANALYSE FREUDIENNE - PHILOSOPHIE, SCIENCE - OU « AFFABULATION » ?

LA CONTROVERSE MICHEL ONFRAY - ELISABETH ROUDINESCO
 
Cet exposé est principalement basé sur le brûlot de 609 pages de Michel Onfray LE CRÉPUSCULE D’UNE IDOLE, l’Affabulation freudienne, et la contre-attaque d’Elisabeth Roudinesco sortie le 27 mai MAIS POURQUOI TANT DE HAINE ? L’Affabulation d’Onfray, présenté à Caen il y a 3 jours, sur le territoire même de Michel Onfray qui a fondé son Université Populaire à Caen. Il s’agit d’un livre collectif auquel ont participé cinq universitaires, dont le philosophe Christian GODIN et le psychanalyste (initiateur de l’Appel des Appels).
La première attaque en France contre la psychanalyse freudienne remonte à 2004 avec LE LIVRE NOIR DE LA PSYCHANALYSE. Dans son introduction Michel Onfray dit d’ailleurs que c’est précisément en se plongeant dans ce LIVRE NOIR qu’il a eu envie d’écrire le sien. Déjà en 2005 Elisabeth Roudinesco est partie en guerre contre les « fausses accusations » contre FREUD et la psychanalyse en publiant son « ANATOMIE DU LIVRE NOIR DE LA PSYCHANALYSE », précédé par le même titre « POURQUOI TANT DE HAINE ? »
 
On peut se demander si le brûlot de Michel Onfray, déjà vendu à 250000 exemplaires à peine 2 semaines après sa sortie, n’est pas une simple opération marketing qui suit un courant à la mode : DÉBOULONNER LES IDOLES qui ont marqué notre temps. Et avec la popularité et l’éloquence d’un Michel Onfray c’est un pari gagné d’avance. De quoi est-il question dans ce CRÉPUSCULE D’UNE IDOLE ?
Onfray applique sa méthode habituelle : il se base sur la biographie du personnage pour mettre à mal sa pensée. Sigmund Freud y apparaît comme un homme de tous les défauts: cupide, menteur, pervers, phallocrate, misogyne, incestueux, homophobe et même fasciste et anti-sémite. On peut dire c’est trop pour un seul homme - juif de surcroît - et qu’il fait passer pour persécuteur de son propre peuple.
Quand on accable de telle sorte une personnalité qui a imprégné le 20e siècle il est sûr que son œuvre - l’invention de la cure psychanalytique - est également mise à mal.
 
Le premier chef d’accusation de Michel Onfray contre la psychanalyse est : Freud aurait construit sa théorie du complexe d’ŒDIPE à partir de son propre cas – l’amour de la mère, la haine du père – et qu’un cas particulier n’est pas universalisable.
En effet Michel Onfray semble avoir eu le problème inverse : Enfant il a détesté sa mère - plutôt autoritaire et cruelle – et a aimé son père d’un tempérament doux et quelque peu tyrannisé par sa femme. Dans les préfaces de ses livres de philosophie on apprend qu’il est enfant pauvre de parents pauvres, fils d’une femme de ménage et d’un ouvrier agricole, originaires d’Argentan, petite ville de province en Normandie. Cette enfance pauvre et pas vraiment heureuse le rend d’ailleurs très populaire auprès d’un grand public. Aussi il faut lui reconnaître le mérite d’avoir popularisé la philosophie avec son Université Populaire qu’il a choisi d’établir à Caen et à Argentan, dans son bocage normand natal.
Mais on peut se demander si son brûlot contre Freud et la psychanalyse n’est pas aussi une revanche à prendre contre les élites bourgeoises, urbaines et académiques. Freud était un bourgeois de Vienne, Elisabeth Roudinesco est Parisienne et académicienne qui enseigne l’histoire de la psychanalyse à l’université Paris-VII-Denis-Diderot et à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Ses livres de déboulonnage des idoles (d’abord le traité d’athéologie, maintenant l’attaque contre Freud) peuvent aussi être interprétés comme la révolte de la France profonde contre les intellectuels urbains.
 
Le 1er chef d’accusation de Michel Onfray contre Freud est donc que sa théorie n’est pas universalisable à partir de son cas personnel, et si sa méthode a guéri des patients cela serait dû à l’effet placebo.
Le 2e chef d’accusation qui est déjà inclus dans le premier : Freud n’est pas un scientifique, et sa prétention d’avoir développé une méthode rationnelle et scientifique relèverait d’une pure usurpation. Il en veut pour preuve toutes sortes d’expérimentations cliniques malheureuses qui auraient échoué avec les patients. On sait que Freud a commencé des études de médecine et qu’il est allé suivre les cours du professeur Charcot, son premier maître à penser, à l’hôpital St Anne à Paris. Il a ensuite non seulement abandonné ses études de médecine mais aussi l’hypnose qu’il a voulu introduire à Vienne, mais sans succès. On sait aussi que Freud a toujours voulu faire de la psychanalyse une science, ce qu’elle n’est évidemment pas, puisqu’elle est basée sur l’introspection et sur l’interprétation des rêves dont il a tiré certes des lois d’interprétation générales mais qui ne sont pas vérifiables dans tous les cas.
Il faudrait que les NEUROSCIENCES nous éclairent sur ce qui se passe dans le cerveau en cas de veille ou pendant les rêves. Freud a d’ailleurs beaucoup compté sur les futures découvertes des neurosciences pour vérifier sa théorie.
Sans être une science dure, la cure analytique a quand même donné des résultats extraordinaires, à croire les nombreux patients qui disent que la psychanalyse a sauvé leur vie, alors que le livre de Michel Onfray fait croire qu’elle est à l’origine d’un véritable goulag en France (au moins dix mille morts). La cure analytique ne prétend cependant pas guérir de tous les maux, mais de restructurer la vie et la personnalité du patient.
 
Si donc la psychanalyse n’est pas une science, qu’en est-il de sa parenté avec la philosophie ?
Le problème est que Freud n’a jamais cité ses sources d’inspiration. On sait qu’il était lecteur de , de SCHOPENHAUER, de NIETZSCHE et de KANT, mais qu’il n’a jamais voulu faire de la psychanalyse une simple philosophie. On le comprend, car les philosophes se complaisent souvent dans la construction de grands schémas théoriques qui ne se vérifient pas vraiment dans leur application. Comme prédécesseurs de la psychanalyse on peut citer le JARDIN D’ÉPICURE ou la SAGESSE des PRÉSOCRATIQUES, il y a les STOÎCIENS et LA JOIE d’exister de Spinoza avec ses PASSIONS TRISTES et les PASSIONS JOYEUSES. Tout comme Freud Spinoza s’est d’ailleurs servi de l’introspection. Mais Freud ne veut pas que sa théorie soit une simple philosophie, il a l’ambition de jeter les bases d’un système qui réunit théorie et pratique dans la CURE ANALYTIQUE. Il veut dépasser la pure conceptualisation en vérifiant ses intuitions dans la pratique. Ce qui explique bien sûr ses volte-face, ses reniements et ses évolutions au cours de sa longue vie. Le jeune Freud qui applique l’hypnose n’est pas le même que le vieux Freud qui avoue à la fin de sa vie que LA FEMME est restée une énigme pour lui, d’où sa fameuse formule: « Que veut la femme ? »
Selon Michel Onfray Freud ne sait peut-être pas ce que veut la femme, mais il sait très bien ce qu’il veut d’elles. A commencer par sa propre mère dont il est amoureux et qui le lui rend bien en le mettant sur un piédestal et en le considérant comme un génie. Onfray présente d’ailleurs la maison de Freud comme un véritable lupanar. Non seulement Freud rêve de coucher avec sa mère, mais il aurait aussi psychologiquement abusé de ses filles, Sophie qui est morte jeune, et Anna qu’il prend en analyse pendant des années – ce qui est contraire aux règles de déontologie que Freud établit plus tard. Elle devient homosexuelle et continue le travail de son père en tant qu’analyste pour enfants et gardienne de son oeuvre. Par ailleurs Freud se serait rendu coupable d’adultère en couchant avec sa belle-sœur qui habitait en effet sous le même toit que le couple Sigmund et Martha Freud.
 
Pour Elisabeth Roudinesco toutes ces attaques sont fondées sur des RUMEURS non vérifiées qui remontent aux années 1990, lorsque les PURITAINS américains ont voulu déboulonner Freud et la psychanalyse pour les mêmes raisons biographiques que Michel Onfray reprend donc 20 ans plus tard. Dans son livre « MAIS POURQUOI TANT DE HAINE ? » on trouve d’ailleurs une étude assez amusante sur la « fabrication d’une rumeur américaine » : la « liaison » de Freud avec sa belle-sœur.
 
La psychanalyse freudienne est-elle donc basée sur une pure affabulation ?
Oui, dit l’historienne de la psychanalyse, car Michel Onfray n’aurait pas respecté les méthodes d’une recherche historique sérieuse, c’est pourquoi il fuirait le débat avec elle.
L’effet dangereux de la méthode Onfray c’est qu’on a tendance à croire et à retenir ces histoires croquignolettes qui tournent autour du sexe et la transgression. C’est nettement plus facile que de lire les Œuvres complètes de Freud, « Malaise dans la civilisation », « Totem et Tabou » ou « L’interprétation des rêves». Mais est-ce qu’on peut ramener une œuvre à des histoires qui en plus s’avèrent non vérifiées? N’est-il pas trop facile de tirer sur une ambulance, car on sait que la psychanalyse n’est pas vraiment à la mode, puisqu’elle est longue, qu’il s’agit d’une remise en question de soi-même qui en plus coûte de l’argent, même si ce ne sont pas les sommes exorbitantes que cite Michel Onfray. Il y a certes la psychanalyse gratuite ou prise en charge par les institutions et les hôpitaux publics, mais comme elle ne rime pas avec les lois de la rentabilité désormais appliquées partout, elle est appelée à se réduire comme une peau de chagrin. Aujourd’hui on a plus volontiers recours aux TCC (thérapies cognitives et comportementales) ou aux coachs qui flattent votre narcissisme et ont souvent des résultats à court terme en faisant disparaître le symptome, sans pour autant régler les problèmes de fond.
 
Il est extrêmement difficile de combattre les thèses aussi populaires sinon populistes que celles de Michel Onfray reprises systématiquement dans les journaux et à la télévision qui en fait ses choux gras. Un discours complexe basé sur des recherches a évidemment moins de chances de passer dans les médias que des histoires croustillantes que tout le monde retient et qui font boule de neige. Michel Onfray ne perd pas son temps à discuter les théories freudiennes, il tire à boulets rouges sur la personne qui les a émises, Ca lui suffit pour décrédibiliser son œuvre.
 
Il y a eu bien sûr des remises en cause théoriques de l’œuvre de Freud par des philosophes comme SARTRE qui ne croyait pas à l’inconscient, par Gilles DELEUZE et son ANTI-ŒDIPE ou par Jacques DERRIDA qui a soumis la psychanalyse à sa fameuse DÉCONSTRUCTION et qui a par ailleurs écrit un livre de dialogue avec Elisabeth Roudinesco. Michel Onfray par contre ne déconstruit pas, il démolit ! Et il y a fort à parier qu’il réussira à faire passer un maître à penser à la poubelle de l’histoire. En fait Onfray participe au courant dominant de la « peoplisation » dont on voit les ravages dans les medias. Le grand public en raffole en tout cas. 
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