L'Evaluation

Samedi 8 mars 2014
Café société
A la médiathèque Arthur Rimbaud,
2 place des Baconnets, 92160 Antony, (RER B: les Baconnets(à 30 min. du Châtelet)
INVITÉE : Angélique DEL REY  , professeure de philosophie, auteure de «La tyrannie de l’évaluation»
THÈME : ON M’ÉVALUE, DONC JE SUIS !
Angélique Del Rey enseigne la philosophie et est  l’auteure du livre dont nous allons parler aujourd’hui :          « la Tyrannie de l’Évaluation ». Elle a aussi écrit : « À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant » (La Découverte, 2010, et  elle est co-auteure avec Miguel Benasayag  de plusieurs ouvrages dont: « Plus jamais seul , Le phénomène du téléphone portable » , «Connaître est agir», «Éloge du conflit» ou «
De l'engagement dans une époque obscure».
 
Aujourd’hui nous parlerons de l’évaluation
Omniprésente, que ce soit dans le secteur public où l’on veut faire PLUS AVEC MOINS - à l’école, à l’hôpital, au CNRS comme dans la police – ou dans le secteur privé où les nouvelles méthodes du management passent par l’évaluation pour augmenter les performances des employés et par conséquent les résultats de l’entreprise par rapport à la concurrence.  C’est la compétition entre  entreprises du même secteur, mais aussi entre les employés, autrement dit c’est la guerre de tous contre tous.
Pourtant les salariés semblent bien avoir intégré la nécessité de l’évaluation, ils la réclament même pour  devenir VISIBLEs et exister aux yeux des autres:  « ON M’ÉVALUE, DONC JE SUIS » est la devise qui  se  prolonge même dans la vie privée  sur Facebook ou autres réseaux sociaux , où le nombre de « like » ou d’ « amis » devient un critère de popularité hautement narcissisant. Autrement dit, tout est dans le quantitatif, et plus grand’chose dans le qualitatif.
 
QUESTIONS  à A. DEL REY
 
- Pouvez-vous nous expliquer le titre de votre livre,  pourquoi l’évaluation est une TYRANNIE? Alors que
dès les bancs de l'école, on nous apprend que l'évaluation rime avec progression. Etre évalué, c'est pouvoir évoluer. Subir une épreuve, c'est aussi s'éprouver,  pouvoir se révéler à soi-même et aux autres. L'évaluation ne contient-elle pas une forte promesse narcissique ?

- En réclamant cette évaluation – c’est en tout cas vrai pour certains – sommes-nous dans la servitude volontaire – (
nouveau «dispositif de contrôle social» intériorisé) ou dans « LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE» décrite par Guy DEBORD ?

- POURQUOI l’ÉVALUATION qui tend à l’EFFICACITÉ est souvent contre-productive et inefficace ?  p. ex. quand un chercheur privilégie le nombre de ses publications au dépens de la qualité de ses articles. Ou quand un policier se profile par le nombre de contrôles et d’arrestations
au lieu de résoudre des affaires plus complexes. Ou lorsqu’un médecin produit le plus grand nombre d’actes médicaux, sans prendre le temps d’écouter le malade.
 
- Pourquoi l’EVALUATION  privilégie le « SAVOIR-ÊTRE au dépens du SAVOIR-FAIRE ?

Vous avez intitulé un chapitre de votre livre « ÉVALUER TUE ».  On sait qu’il y a des suicides dans les entreprises publiques ET  privées. Quelle est la part de l’ÉVALUATION dans  la causalité de ces suicides et en général dans « la souffrance au travail »  attestée par  de plus en plus de chercheurs et sociologues : Vincent de GAULEJAC, Christophe DEJOURS pour nommer que les plus connus.

SYNTHÈSE
Dans la vie quotidienne de chacun, à l'école comme au travail, dans les organisations publiques et privées, les évaluations se font de plus en plus pressantes, diffuses, continues. Rendre des comptes, être visible, mesurable et surtout compétitif devient l'injonction permanente et stressante. Être évalué paraît presque aller de soi, voire être désirable : « On m'évalue, donc je suis ». Or ces évaluations engendrent un climat de concurrence et de sauve-qui-peut ; au nom de « plus d'efficacité », elles créent une forme inédite d'inefficacité ; au nom de l'objectivité, elles écrasent les différences, standardisent, normalisent.
La logique de cette évaluation reste celle de l’accumulation du capital : on parle alors de « capital humain » ! Il s’agit, pour le capitaliste, d’investir sur « l’âme » humaine, tout en l’objectivant, la séparant de son porteur, et la découpant en tranches de « compétences ». L’individu lui-même est invité à s’investir de cette façon-là lorsqu’il travaille ou recherche du travail, et même quand il se forme !
Le nouveau système d’évaluation est trompeur puisqu’il se présente comme une « liberté » de fabriquer soi-même la norme par « production d’excellence ». Il y a eu un changement d’époque, et l’époque « post-moderne » implique de nouveaux sujets : lisses, transparents, « sans qualités », avides de visibilité…  Mais comment reconstruire une évaluation qui fasse sens en situation et permet aux acteurs de la situation de progresser ?



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